Il s’agit de la partie du domaine où se concentrent les activités agricoles et artisanales. Pour notre site, elle se situe à l’ouest de la pars urbana, à environ 160 m, et elle est composée de deux bâtiments dans sa plus grande extension. Le premier est un bâtiment de 602 m² de plan rectangulaire avec deux pavillons en façade et comportant au sud, une cour enclose de murs de 320 m² de superficie. Le second est une petite annexe de 101 m² comportant deux pièces mais dont l’utilité fut impossible à déterminer tant ses structures étaient arasées.
Ce bâtiment trouve, sans doute, son origine durant le premier siècle avant J. C. comme l’indiquent quelques trous de poteaux, quelques tessons de poteries et monnaies laténiennes.
Mais c’est entre l’extrême fin du Ier siècle après et le début du IIe siècle, qu’est construite en dur une grande halle sur fondations de pierre de 31 m sur 25 m. avec deux pavillons en façade réunis par une galerie.
La galerie de façade orientale
Tout comme pour le bâtiment résidentiel, le bâtiment agricole s’ouvre sur une galerie de façade orientée et découpée en six espaces (n°1, 2, 3, 4, 5 et 9 sur le plan). Le pavillon sud (espace 1) mesure 20 m² d’espace intérieur (3,8 par 5 m) dont le sol est en béton de cailloutis calcaire et de chaux, présentant des traces de foyers (incendies ou emplacements de braseros ?).
Le pavillon sud avec la pierre de seuil (vue nord-sud) Le pavillon sud (vue sud-nord)
Le mur oriental de ce pavillon possède une porte piétonne d’un mètre de large et dont le un seuil matérialisé par une grosse dalle de grès taillée, de 1 m de long par 0,64 m de large et de 0.20 cm d’épaisseur. Ce gros bloc de grès, déplacé de quelques centimètres en avant de la porte, s’ajuste parfaitement à une réserve pratiquée dans le mur. Ajoutons qu’une clé à crochet gallo-romaine a été découverte juste à côté de cette pierre de seuil.
Détail du mur 20046 avec le bloc 20080 en avant (doc. © INRAP)
La pierre de seuil La clé à crochet découverte à proximité
Avec son sol en béton, il est probable que cette pièce soit un lieu de vie abritant des ouvriers agricoles occupés à surveiller les animaux et les installation.
Au nord de cette pièce (espace 2), se trouve un espace de 13,5 m² présentant aussi un sol bétonné et qui semble relié au pavillon. Est-ce une autre pièce d’habitation ?
L’espace bétonné à côté du pavillon sud Détail de l’angle sud-est de cet espace
L’espace 9 correspond à un espace de circulation menant à la grande halle, par une grande porte cochère, situé au milieu de la galerie. L’espace 4 suivant vers le nord est un couloir menant vers le pavillon nord (espace 5). Ce pavillon possède une surface intérieure de 18,5 m² (3,75 / 4,90 m) et a la principale caractéristique de posséder une cave.
L’accès s’y fait par un escalier d’1,30 m de large pour 3,50 m de long, composé de 8 marches sans doute en bois car il n’en reste que l’aménagement des degrés en pierres calcaire. Une porte en bois en fermait l’accès comme le montre la découverte d’un gond et de pitons à œil dans la cave. Le fond de la cave était planché et des drains s’y trouvaient avec notamment un puisard dans l’angle nord-est de la cave.
Détail de la descente de cave Vue de l’escalier Gond Détail des différentes maçonneries vue générale de la cave
Les maçonneries indiquent une reconstruction après l’incendie du milieu du IIIe siècle. La maçonnerie initiale est conservée sur 6 rangs. Au-dessus, vient la reconstruction soignée de la cave, en moellons de calcaire à Gryphées d’un module de 16/12/9 cm. Le mur est montre un très beau soupirail.
La fouille n’a pas révélé d’indice permettant de comprendre l’usage de la pièce située au-dessus de la cave.
La grange halle
Cet espace intérieur est édifié sur une fondation de 12 m par 29 m, soit une surface de 348 m². Les murs sont uniquement construits en calcaire à Gryphées. Aucun mur n’est visible à l’intérieur, la charpente reposait sur des hommes-debout, alignés en deux rangées de cinq soubassements. Entre deux poteaux porteurs, la distance de 5,5 m a été constatée. Il n’en reste que des traces dans le sol associées à des pierres de calage.
Différents espaces ont été décelés dans l’ensemble de la halle, dont le sol devait être en terre battue, comme différents foyers notamment dans l’angle sud-est de la halle.
Cet angle est riche en foyers sur un sol empierré en cailloutis calcaire de 25 m² (sol 20314-20326). Le plus grand foyer (n°20366) est une sole d’argile rubéfiée mesurant 1 m de côté et limitée au sud par une bordure en grès. Le second (n°20342) est composé d’une sole rubéfiée de petits cailloux et d’argile. Les deux comportent des résidus de céréales en lien avec la cuisson de pains ou bouillies associés à des os essentiellement de porc. Il s’agit donc de foyers domestiques visant à la préparation des repas.
Le foyer n°20329 a permis la découverte d’objets en alliage cuivreux découpés ou fondus (cf. doigt de statue, fragments de cruche (n°20315-119), dauphin (n°20315-335)…) permettant d’envisager un atelier de refonte du bronze.
La galerie de façade occidentale
La façade ouest est formée d’une longue galerie de 29,30 m de long pour 4,20 m de large (espace 7). Sans espace interne, l’étude des sédiments a révélé des traces de déjections animales. Cela conduit à penser que cette galerie servait de stabulation pour les animaux.
L’incendie de 250 ap. JC
Tout comme la pars urbana, la partie agricole fut aussi détruite par un incendie au même moment. Mais, contrairement à la première, la partie agricole fut reconstruite. La cave fut dotée d’une nouvelle maçonnerie (cf. plus haut) mêlant des moellons calcaires et des moellons de grés avec des blocs récupérés de la pars urbana comme l’indique certains blocs sculptés. Les joints de maçonnerie sont tirés au fer, contrairement aux premières maçonneries de la cave.
La halle fut aussi reconstruite comme l’indique la présence de bloc grès au-dessus des trous de poteaux originels formant des dès destinés à porter les poteaux. L’un d’entr’eux est taillé d’une mortaise servant au calage du poteau qu’il supportait. A noter que les romains n’ont pas nettoyé la couche de démolition issue de l’incendie. Ils ont tout simplement reconstruit dessus laissant un différentiel de niveau de 30 à 40 cm entre le sol d’avant l’incendie et celui d’après.
Les informations concernant la répartition des différents espaces du bâtiment agricole après l’incendie sont très lacunaires du fait des phases de récupération des matériaux durant des siècles. Tout juste peut-on déceler la présence d’une forge dans la galerie de façade orientale (esp. n°3). Les quelques outils retrouvés en fouilles signent toutefois la vocation nettement agricole (fourches, faux, forces…) et du bois (hache, émondoir, compas…).
Que cultivaient les romains à Bulgnéville ?
La fouille archéologique s’est doublée d’une étude carpologique (étude des graines) sur l’ensemble du domaine agricole et à différentes époques. Au total, 585,2 litres de sédiments ont été prélevés. Ces prélèvements furent traités par tamisages d’où il résulte que seuls les éléments ayant subis le feu furent conservés ce qui limite les interprétations et les conclusions. Toutefois, les résultats obtenus permettent d’avoir un aperçu des plantes cultivées à Bulgnéville.
L’orge dite vêtue (Hordeum vulgare) est la céréale la plus couramment rencontrée avec l’épautre (Triticum spelta) et le blé nu (Triticum aestivum/dirum/turgidum). Le millet commun (Panicum miliaceum), l’avoine et le seigle sont aussi attestés mais dans une moindre mesure. Quelques traces de légumineuses (lentille, pois, vesce cultivée) indiquent la culture de ces légumineuses, la vesce (Vicia sativa) est, soit une plante parasite des culture, soit elle fut cultivée comme fourrage et peut-être que les graines (bouillies impérativement) étaient consommées. Pour les fruits, la présence de poires, de noix (les noyers ont été introduits par les romains) démontrent la plantation d’arbres fruitiers aux côtés d’espèces endogènes (noisetiers, prunelliers…). La présence d’un gros agglomérat organique carbonisé dans l’espace 6 de la halle prouve l’existence d’un foyer culinaire où se trouvaient du pain, des galettes, des bouillies et des gruaux à base de céréales.
avoine millet orge Vesce cultivée Vesce cultivée lentilles
Après quelques dizaines d’années de vie, l’ensemble est alors abandonné. Les fouilles ont clairement démontré que les bâtiments agricoles ont vu le départ de leurs occupants et ce sont lentement dégradés, avant de subir des assauts réguliers pour en récupérer les matériaux mais sans jamais atteindre les niveaux de fondation. En fonction des éléments retrouvés, il semble que cet abandon soit survenu durant la seconde moitié du IIIe siècle. Il aura fallu attendre 2015 pour que ces vestiges réapparaissent…